Les Vagabondes...

Publié le par Arabesque

 
  Sur un banc, au réveil. Au lever des paupières. Le soleil ne brille pas. Il semble plutôt se fondre, s'estomper comme pour ne pas altérer la blancheur crue du ciel. C'est comme une goutte de miel dans un océan de lait. On le sent chaud, doux, sucré.
  Boire! Boire le soleil par les joues et les yeux grands ouverts, la pupille assoiffée et l'iris en corolle.
  Boire! Boire ces flots de lumière par tous les pores de la peau et les laper à grands coups de paupières.

  Mais rien! Rien que les rues muettes et les pavés endormis. Rien que le gargouilli du ventre creux, le cri des ongles bleuis et la sécheresse des lèvres violacées. Une figue déssechée pour toute panse, et la famine pour amante, à qui trompeusement on offre des pétales de roses et de tulipes. Amers et  fades, à faire des tisanes, des pots pourris.

  Comme une ancre rouillée, le corps lourd amarre son âme pour qu'elle ne dérive. Et la tête cotonneuse s'envole bientôt peut-être... Déjà les yeux mis-clos, l'or des rayons danse sur la courbe triomphante des cils. Pour un nouveau naufrage vers l'oubli. Le banc comme un radeau, tangue sur le bitume qui fait des vagues et la poussière qui écume...
 
  Bientôt, bientôt l'hiver. C'est donc déjà, déjà l'automne. Dans le ciel, les blancs nuages, comme des serpillères, se sont entortillées, et déversent leurs belles eaux claires au fond de notre seau. Brillent les vitres et les carreaux. Brillent l'argent des pavés et l'encre goudronneux des trottoirs. Les gouttières larmoient et les bouches d'égoût s'abreuvent. Et les ruelles aux murs de briques délavées ont d'une fenêtre à l'autre, des ficelles qui se tendent, et  des pinces-à-linge qui mordillent des chiffons de couleurs. Alors sur un carré de ciel bleu, ça fait comme des arcs-en-ciel parfumés de lessive et de savon. Alors les miroirs en flaque reflètent le ballet bariolé des parapluies qui passent.

  Ca y est! Voilà le froid. Ce vieil oncle qui vous pince le nez, les joues et les oreilles à les rendre tous rouges. Echarpes, gants, bonnets n'y font rien. Ca vous pique et ça vous mord, surtout quand vient la bise.
  Chercher la chaleur dans les journeaux et les feuilles mortes. Attendre le train avec patience. Loin du quai, là-haut sur les trottoirs. Et cueillir les baisers des bouches de Métro.

  Marcher. Marcher lontemps. Droit devant soi, dans les boulevards. A travers ces champs de sémaphores qui poussent dans le béton, et les sens interdits comme des coquelicots.
  Et voilà que là parterre, brille une pièce rouge. Pas grand chose: un centime. Une pièce ronde comme le monde, et qui comme lui ne vaut pas cher. Un coup de pied: elle tourne et vacille comme une toupie.
  Aller. Aller encore et toujours. Mais déjà les souliers baillent à s'en décrocher les semelles. Elles font la moue,
tirent la langue, et découvrent la chaussette trouée, le petit orteil rose et gercé.

    Mais voilà que le ciel nous neige dessus. Les toits bruns et roussâtres sont à présents tout blancs. Mais la neige n'a pas la douce blancheur du lait. Non, elle est de cette blancheur qui blesse, lame qui caresse la pupille effarée, et qui fait se clore les yeux...
  
  Sur un banc. Au coucher des paupières. Le soleil ne brille plus. Il semble plutôt se noyer à l'horizon, comme un sourire, un sourire divin et rose qui fait naufrage.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article